“Pensez-vous qu’un homme en morceau puisse encore souffrir des propres dégâts qu’il cause lui-même à son propre corps ? Voilà quelque chose dont je serai responsable. Si je meurs à cause de ça, j’aurai au moins eu la décence de croire que j’ai contribué à ma disparition. Rien ne doit être plus pénible que de mourir sans en être averti. Vous vous réveillez un matin, un matin qui vous semble être comme tous les autres, et hop, vous ne rentrez finalement jamais chez vous. Un chez vous qui ne le sera bientôt plus. Parce que vous êtes mort. Pourtant, malgré votre effacement total de la Terre, le monde continuera de tourner. Sans vous. C’est incontestablement la pire chose qui puisse être. Vous comprenez ce que j’essaie de vous dire ? Tout est tellement banalisé qu’on en oublie le privilège qu’on a de vivre. On ne sait pas de quoi demain sera fait, pourtant on remet sans cesse tout au lendemain, comme si ces jours-là nous étaient dus. Mais l’univers, l’essence même de l’existence et peut-être ce qui nous surpasse, parce que je ne sais pas véritablement en quoi je crois, ne nous doit rien. Si ça se trouve, on naît avec un compte à rebours sur la tête, parce que tout est déjà tracé. Peut-être que dans quelques minutes, un camion ou je ne sais quoi d’autre fauchera cette voiture et nous retournera. Et peut-être que nous mourrons dans cet accident stupide. Allez savoir. Peut-être que c’est ce foutu cancer du poumon que je suis volontairement en train de développer au fond de moi qui m’achèvera dans une dizaine d’années. Nos facultés humaines sont limitées et ne nous permettent pas de savoir de quoi demain sera fait. Mais notre intelligence nous permet de nous dire que demain existe. Un demain biaisé par le prisme de l’habitude. C’est effroyable, vous ne trouvez pas ?”
© LE RAVIVEUR DE SOUVENIRS, 2022.